
Un film méta avant l’avènement du genre et qui pose à travers la multiplicité des écrans dans le cadre le questionnement fondamental sur le rôle de l’écran dans la société moderne. David Cronenberg aborde le programme TV (il le fera ensuite avec le programme informatique, le jeu vidéo, d’une façon pas très heureuse dans le médiocre eXistenZ) tel un virus, ramenant le concept antique de malédiction à quelque chose de bien plus concret et tactile, provoquant d’autant plus le malaise. En bon adepte du choc par l’image, il prend plaisir à malmener les sens du spectateur, travestissant la réalité et la fiction jusqu’à créer un monde à part dans lequel il se permet d’annoncer l’avènement du snuff movie, de redéfinir l’origine du monde à travers une blessure à l’abdomen de James Woods à la forme ouvertement vaginale, et de multiplier les symboliques puissantes jusqu’à créer un véritable état de malaise. Vidéodrome c’est l’homme qui regarde dans la matrice et accepte d’en faire partie, très consciemment, jusqu’à l’abandon total, avec une VHS en guise de pilule bleue. Mais avant de l’avaler, littéralement et par l’abdomen, comme une fécondation par l’image, il fait exploser sa réalité. véritable carnage çà l’écran, Vidéodrome impressionne par sa violence frontale et ses kilos de chair qui éclaboussent l’écran.
En construisant des images que ne renieraient pas les surréalistes (James Woods qui fouette un téléviseur diffusant l’image de Deborah Harry en souffrance), en insufflant une vie organique aux éléments électriques, en liant intimement l’homme et la machine, par une pénétration de la chair, David Cronenberg se laisse déjà aller aux fantasmes les plus noirs qui prennent corps dans le cadre. Mais au-delà de son propos sur l’aliénation, qui ancre Vidéodrome dans les fondamentaux de la science-fiction, c’est bien dans sa réflexion sur le pouvoir de l’image qu’il assure. Bien conscient de la toute-puissance de la diffusion télévisuelle, qu’il connait sur le bout des doigts, il fait se reproduire les écrans jusqu’à créer une sensation de vertige cinématographique propre aux grands maitres de l’image. L’image que l’on croit regarder n’est finalement qu’une diffusion, ou l’inverse, et cela provoque la lente déliquescence du héros qui sombre dans la folie, ou se laisse avaler par Vidéodrome. Dès lors, le film peut être vu avec deux regards totalement différents. Soit il ouvre sur un monde meilleur que cette société à l’agonie, rongée de l’intérieur par son destin de société décadente (Vidéodrome représentant alors vraiment les nouveaux jeux du cirque), et représente alors une forme d’utopie, soit il mène tout simplement à l’extinction, comme tout virus qui prendrait le pouvoir.
David Cronenberg signait ainsi une œuvre d’une densité telle qu’elle a sans doute sérieusement secoué tous ceux qui ne voyaient en ce réalisateur qu’un gentil bisseux, tellement dense qu’elle ne peut pas se contenter d’un seul niveau de lecteur ou d’une seule résolution. Vidéodrome c’est autant la révolution que la capitulation face au fascisme, c’est autant le sexe créateur que destructeur, c’est la base du cinéma de David Cronenberg avant qu’il ne s’embourgeoise, c’est un des plus grands rôles de James Woods et un des films les plus dérangeants des années 80. Par ce qu’il montre bien sur, parfois dégoutant, mais surtout par ce qu’il entraîne comme réflexion, consciente ou inconsciente, sur la condition de l’homme et son rapport à l’image. Fascinant et d’une richesse infinie.
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